Les personnages et les situations de ce récit sont purement fictifs. Toute ressemblance avec des personnes ou situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
Samedi, 11h15 – Dans un magasin d’électroménager lambda.
Zoom sur une femme à la coiffure approximative et à la tenue vaguement propre. Elle est essoufflée, sa respiration est haletante. Elle semble à l’affût de quelque chose, planquée derrière la porte ouverte d’un frigo américain 600 litres. Elle se terre, elle guette, compote dégoulinante à la main.
Soudain, un enfant à peine plus haut que le bac à légumes surgit, telle une furie, du coffre d’un lave-vaisselle en promotion exposé en face du réfrigérateur géant. L’enfant pousse un cri strident « AAAAAVEEEEUMACHIIIIIINE » et se précipite à l’intérieur du frigo. La femme bondit, referme la porte sur l’enfant d’un geste vif, maintient fermement celle-ci avec ses deux mains – faisant au passage gicler la Pompote sur sa veste déjà grisâtre, harponne la poussette qui était restée cachée derrière à l’aide de son pied gauche, rouvre la porte, plaque l’enfant au sol avant que celui-ci ne puisse s’enfuir en courant vers le rayon fer à repasser, et le maîtrise rapidement.
Le gamin se tortille comme un ver en hurlant « NOnOnoNON », mais la femme est une professionnelle, habituée des mômes retors, elle ligote l’enfant à sa poussette en lui enfonçant le bec verseur de la Pompote dans le fond du gosier, alpague d’un geste habile un trousseau de tétines et ce qui ressemble à un vieux torchon usagé qu’elle colle sous le nez du gamin, qui se calme aussitôt.
Satisfaite, la femme souffle une mèche tombée sur son œil en se redressant, empoigne la poussette en bombant le torse, et repart, fière et apaisée, vers le rayon lave-linge. Elle n’a pas remarqué la coulée de compote fraise-banane sur la manche gauche de sa veste, ni le torchon-doudou abandonné à côté du frigo, elle ne s’en apercevra que le soir venu ; mais c’est une autre histoire. Elle peut enfin rejoindre l’homme, qui ne l’attend pas du tout, au fond du magasin.
L’homme, de son côté, n’a pas quitté le rayon lave-linge depuis leur arrivée.
Il est aussi à l’affût, mais son gibier à lui est plus calme. Il est même immobile. L’homme est mutique. Il a l’air concentré et appliqué d’un juge de concours canin, il jauge les bêtes. L’homme tourne lentement autour des machines, arpente le rayon lavage, scrute, compare, évalue. Il se penche sur certains modèles, en dédaigne d’autres. Il fronce les sourcils, sort son portable, fait des recherches Gougueule, ricane, soupire. Ah, celui-ci essore à 12 000 tours ! Oh, celui-là est doté d’un sixième sens. Argh, celui-là a un programme repassage facile ! L’homme étudie les merveilleuses options que les constructeurs ont inventés ces dernières années. Plus besoin de repasser ! Moitié-moins de lessive ! Capacité 20 kilos ! Lave le blanc et les couleurs ! Programme housse de canapé !
L’homme réfléchit. Il s’agit d’électronique, de machines complexes. L’homme est en chasse, en chasse de LA meilleure machine, celle qui a toutes les options, celle qui est à la pointe, celle qui fait le café en même temps qu’elle lave le linge tout en repassant ses chemises. L’homme sera intransigeant. Ce n’est certes pas lui qui s’en sert, mais lui seul peut évaluer la pertinence de ces options.
Alors, quand il voit la femme arriver, l’homme soupire. Il lui dit « Occupe toi du petit, je gère », avant d’apostropher un vendeur. En prenant l’air de celui qui connait déjà la réponse, il désigne un lave-linge. Le plus cher, le plus gros aussi. Il lui dit « C’est celui-là, le meilleur, hein ? avec l’écran d’affichage LCD ».
La femme s’étonne. Un écran LCD ?!
Elle tente de s’immiscer dans la conversation entre l’homme et le vendeur. Elle s’adresse à ce dernier : « Et une avec un programme court pour lav… ». Mais elle ne peut finir sa phrase, l’enfant s’est remis à hurler. L’homme lui adresse un regard plein de sous-entendus. Il lui sourit, d’un sourire qui se voudrait compatissant mais qui n’est rien d’autre que condescendant. Il lui souffle un « Ne t’en fais pas ma chérie, je t’ai dit que je m’en occupais », qui en réalité signifie « De quoi je me mêle Armelle, c’est une affaire d’hommes les machines, retourne donc à ta cuisine ».
La femme excédée hausse les épaules presque aussi haut que ses sourcils, détourne les talons, manque de se prendre les pieds dans les roues de la poussette qui elle, n’a pas bougé d’un centimètre, et part se promener dans le rayon fer à friser.
L’homme la rejoint. Il est malin.
L’homme est rusé. Il a repéré sa proie. Mais il ne la prendra pas, pas maintenant, non, l’homme est patient. Il dégaine son portable, tape la référence du nouvel objet de son affection, atterrit sur le site d’Extra, surfe quelques instants sur le rayon lavage, vérifie dans le guide Bien choisir son lave-linge que sa méthode est la bonne. Attentif, l’homme étudie les conseils prodigués par le site. Il siffle, hoche la tête, marmonne « hmm hmm, c’est ça, hmm hmm », opine encore, s’auto-congratule. Puis, victorieux, l’homme relève le menton et annonce, sûr de lui « C’est bon j’ai trouvé, je commande ». La femme s’enquiert du modèle ciblé, « T’inquiète paupiette, tu vas kiffer ».
Quelques jours plus tard, dans un salon lambda.
L’homme est en nage. Il dégouline, littéralement, son beau tee-shirt Adidas n’est plus qu’un vague tissu pris dans les fourrages de son torse viril. Armé d’une clé à molette et d’un pied de biche, il vient d’encastrer lui-même la machine flambante neuve. Elle était trop grosse pour l’emplacement prévu, c’est-normal-c’est-la-meilleure-mais-elle-n’est-pas-aux-dimensions-standards-tu-comprends. Qu’à cela ne tienne avait-t-il dit, avant d’abattre un bout de cloison à coup de massue.
La femme avait regardé, sceptique, le mur tomber, avant de lui indiquer la sortie d’eau (de l’autre côté de la pièce). S’en était suivi un échange houleux entre le mari et sa femme, interrompu par les cris de l’enfant dont la tête était restée coincée dans le tambour de la machine, qui trônait à ce moment-là au milieu du salon.
Au bout de quelques heures, l’homme avait enfin raccordé le lave-linge. « C’est pas si laid ce tuyau finalement », avait-il assuré à sa femme, en lui montrant le montage qu’il avait réalisé. « On dirait une gouttière intérieure, c’est même design, en fait, accroché comme ça au mur ». La femme n’avait rien dit. Elle était partie, silencieuse, chercher le panier à linge, celui qui ne se vide jamais, celui qui est lourd, celui qui est plein, toujours.
L’homme s’était renfrogné. « Bah quoi, t’es pas contente ? C’est quand même le top du top, ce lave-linge. » La femme avait haussé les épaules (encore). « Tant qu’il lave mon linge… ». L’homme s’était agacé. « Attends, c’est quand même le seul avec le programme spécial housse de canapé » – « Le notre est en cuir ». L’homme avait ricané. « C’est ça fait la maligne. Et moitié moins de lessive ? Et la capacité de 20 kilos, tu crois pas que ça va t’aider ?! » « Le sèche-linge en prend 5 max. Et la lessive c’est moi qui la fait… »
L’homme était furieux, vexé. Blessé. « Tu fais chier sérieux, T’es jamais contente. Je fais ça pour toi, moi. Non vraiment, t’es chiante ».
Encore un peu plus tard, en fin d’après-midi.
L’homme avait demandé. « Elle est propre ma chemise pour le resto de ce soir ? ». « Non ». Gentiment pourtant, la femme avait proposé de la laver rapidement. Elle s’était approchée de la machine, avait regardé attentivement le lave-linge, avant de s’exclamer « Y a pas de programme court ?! ».
L’homme avait sursauté. « Bien sûr qu’il y a un programme court ! ». Il s’était approché à son tour. Au bout d’une demi-heure, il avait abdiqué. Pas de programme court, c’est vrai. Mais bon, il y en a un long pour les housses de canapés…
MORALITÉ
Qui choisit l’électroménager, doit être celui qui va l’utiliser.
Article sponsorisé par le magasin Extra.
12 comments
Hahaha ! Jolie moralité 😉
et ça marche avec tout le reste aussi 😉
Ça existerait encore des mecs comme ça?… Si, oui, il faut les rendre à leurs mères, parce-qu’aucune femme n’en voudrait…
Effectivement, la chute est délicieuse, bel été.
Merci à toi ! Oh oui il y en a, du genre de l’âge de nos parents quoi 😉 pour le reste tout est question d’exagération, mais sinon, c’est pas drôle hein … :-p
QU’est-ce que j’ai ri ! Après je ne suis pas certaine qu’il en existe encore des comme ça tout de même… enfin j’espère sinon il faut le renvoyer au SAV avec la machine !
De l’âge de nos parents, crois-moi, il y en a 😉 et même des plus jeunes… m’enfin tout est question de recadrage hein 😉
Ce mec là tu peux le garder, je n’en ai pas besoin lol 😉
Ici monsieur a eu le droit de participer au choix de son nouveau jouet : c’est lui qui gère la lessive. La vaisselle aussi, d’ailleurs !
Par contre, il ne connait pas le programme court…. personne n’est parfaite.
Aaaaah mais dis-donc, il gère les lessives ET la vaisselle ?! mais quel est ton secret ??
Euh sinon, vous avez remonter la cloison 😁🤣
Heureusement c’est une fiction 😉
les mecs et leur ego…. bon bah… bon courage pour les lessives … au fait, 20 kilos, c’est quoi l’intérêt ? vider toute son armoire avant de faire une lessive, et du coup se retrouver a tout plier / ranger en même temps ? je suis pas sure de l’intérêt pour le coup… ( désolée d’enfoncer le clou sur un sujet déjà sensible ) 🙂
Ahah non mais rassure-toi, ce n’est que pure fiction 😉 Par contre 20 kg oui ça existe, j’imagine que pour les familles nombreuses l’intérêt est avéré ! quand je vois ma pile, et que j’imagine ce que ce serait avec 1 ou 2 enfants de plus…. non, je préfère ne pas y penser 😉