Être ou ne pas être… écolo, telle est la question qui me taraude à chaque instant : à la caisse du supermarché, derrière mon écran, devant mon évier, tout au long de mes trajets… L’écologie, thème ô combien porteur… et si susceptible de me donner des sueurs froides ! Serais-je donc la seule ? Je me décide enfin à revenir par là, pour partager mes états d’âmes, et dans l’espoir de trouver d’autres pauvres hères, qui, comme moi, à force de conjectures et de questionnements, finiraient presque par douter constamment…

Ça peut commencer par un rien, juste comme ça…

Mercredi matin. Bruit suspect au niveau de la porte d’entrée. La porte tremble, la maison tremble, je tremble. GrrrGrrrGrrr TCHVVVVVVVVVV KSSSKSSSKSSS… PLOAF. Je reste pétrifiée. Plus rien. Le silence est revenu. Je retiens mon souffle. Au bout de quelques minutes, je me risque à passer une tête dans le couloir. L’annuaire gît sur les (magnifiques, n’est-ce pas ?) carreaux de ciment de l’entrée. Je reste quelques instants coite devant la taille du machin. Comment le facteur a-t-il bien pu faire passer ce truc dans la minuscule fente de notre boîte aux lettres ?! Une étrange pensée me vient soudain, et mon sang se glace en pensant à la pauvre femme de ce forçat de facteur, mais, ouf, je me rappelle que notre facteur est une factrice (tiens, comme autrice, merde alors*), ce qui pourrait d’ailleurs soulever d’autres questions quant à son acharnement à vouloir faire rentrer un gros truc dans un petit truc, mais pour une fois, je décide de rester focus – on ne s’éparpille pas dans ses pensées, Virginie, s’il te plait -. Je récupère donc le bottin, prête à le ranger avec celui de l’an passé et avant de retourner à mon petit travail, fière de ne pas m’être encore perdue en considérations inutiles. Mais alors que je me saisis de la chose, mon regard est attiré par la couverture, étrangement blanche pour un numéro des Pages Jaunes. « Dernière édition ».  Dernière édition ? Oui, Virginie, c’est marqué dessus, noir sur blanc, c’est bien, tu sais lire ; allez on passe à autre chose maintenant ? Heu. OK. Mais, quand même… Dernière édition ?! Et voilà. C’est parti. Il aura suffit de ça. L’annuaire… et hop, le fil de mes pensées écolos est lancé…

Le dialogue intérieur commence. « Ah ben quand même il était temps, tout ce papier, tous ces arbres, tout ce gâchis, tous les ans, et-la-planète-bordel-de-merde-hein ! ». Pourtant, je ne sais pas pourquoi, je me sens quand même un peu nostalgique. Je ne peux m’empêcher de me demander comment ça va se passer, maintenant, sans les Pages Jaunes. « Mais t’es con ou quoi ?! Comme toujours depuis 10 ans ! ». Grmmph. Pas faux. Comme pour presque tout, le formidable Internet, notre sauveur, nous indiquera le numéro de l’ophtalmo ou de la voyante la plus proche, tout en évitant à des milliers d’arbres de se faire abattre. Merveilleux. Comment ai-je pu seulement me poser la question ?

Et puis ça continue comme ça….

Je repense alors à ma journée d’hier. Bam, me voilà plongée un peu plus au fond de mes pensées écolos. C’est la 2ème strate. Ceux qui ont vu Inception comprendront. (quoique personnellement je ne suis toujours pas sûre d’avoir bien compris)

Je disais donc, hier encore, j’avais vingt ans, j’ai suivi ce procédé pour trouver une esthéticienne – sans succès, mais c’est un détail, et puis les poils ça tient chaud, et l’hiver arrive. Ai-je une seule seconde songé à ouvrir l’annuaire ? Point du tout. Et ce n’était pas parce que mon modèle d’annuaire datait de l’an passé – la factrice n’avait pas encore introduit le 2019 – que je n’y avais pas eu recours. Non. Je n’y ai simplement pas pensé. À la place, j’ai, comme d’habitude, interrogé mon ami Google. En y repensant, c’est vrai, il m’a d’abord suggéré d’aller en parler aux Pages Jaunes – le site des Pages Jaunes, évidemment, pas question de ressortir le bottin, et-la-planète-bordel-de-merde-hein. Comme je suis bien élevée (par les GAFA), j’ai fais ce qu’on me disait de faire, j’ai cliqué, et je suis tombé sur la page virtuelle de résultats.

Pouf !  331 esthéticiennes à Bordeaux.

L’embarras du choix. Le vrai. Pour l’éternelle indécise que je suis, l’enfer. Au secours Google ! COMMENT CHOISIR ?! « Faites une recherche autour de vous ». Ah bin oui je suis bête. Je clique. 47 esthéticiens et ciennes. Hmmm. Me voilà repartie sur Google pour lui demander son avis. Alors, par exemple, tiens, Marie-José, à 100 mètres de chez moi. 34 avis. 4,8 sur 5. Pas mal. Mais pourquoi pas 5/5, au fait ?! Se pourrait-il que Marie-José soit en réalité un très mauvais choix ? Je préfère en avoir le cœur net. Et puis c’est à portée de clic, pourquoi s’en priver !

Je re(rererere)-clique. Dans l’ensemble, les gens sont contents, voire très contents, des prestations de Marie-José. Sauf Mireille51. Mireille51, elle est même pas contente du tout. Et pour cause. Mireille51 aurait fait une allergie au masque au concombre et affirme avoir perdu 7/10ème à chaque œil après que Marie-José lui ait fait son soin « Regard reposé et détente des îles ». Elle est sûre que c’est à cause de l’anti-cerne, elle l’avait prévenu et elle n’avait rien voulu entendre, et voilà, maintenant qu’elle est à moitié borgne elle va prendre un avocat, porter plainte auprès de la CNIL (?!) et faire un signalement à la SPA. Je pense que Mireille voulait écrire SDE (Syndicats Des Esthéticiens et Ciennes), ou peut-être pas, mais avec 7/10ème en moins à chaque œil j’imagine qu’on doit plus facilement faire des fautes de frappes. Quoiqu’il en soit je dois reconnaitre que son histoire est inquiétante. Marie-José Esthétique est à 100 mètres de chez moi, ça serait le plus pratique, même Maps est d’accord ; mais Mireille me fait douter, et bien que ma recherche ne concerne que la partie inférieure de mon corps, je préfère être prudente, un accident est si vite arrivé, et je tiens à ma vue, quand même.

Je cherche donc quelques renseignements sur les relations de causes à effet entre anti-cerne et problèmes ophtalmologiques. Le plus dingue c’est que mon ami Google a vachement d’info sur le sujet, je découvre d’ailleurs à l’occasion que le concombre enlève hyper bien les taches sur les murs – aucun lien c’est vrai, et pourtant, tapez sur Google pour voir un peu. En tout cas moi, ça me semble carrément écolo comme truc. Il faudra que je pense à regarder plus en détail, quand j’aurais le temps. Là tout de suite, je cherche une esthéticienne, faudrait pas non plus que je me laisse déborder. Je lance donc une nouvelle recherche – cette dernière remarque me rappelant à mes convictions écologistes – et je tape cette fois « Esthéticienne bordeaux pas loin de chez moi écolo bio ». Nan mais. On est écolo ou on ne l’est pas. La page de résultat s’affiche, j’ai à peine le temps de voir qu’il y en a une labellisée « bio 2000 » à 5 minutes – en voiture certes, mais on s’en fout, c’est pour le bien de l’écologie, merde – quand je constate avec effroi qu’il est déjà l’heure d’aller chercher les enfants. Comment est-ce possible, il était à peine 14h quand j’ai lancé ma première recherche ?!

Pas le temps de me poser la question.

Je suis déjà en retard, je saute dans ma grosse voiture diesel. Je me sens quand même un peu frustrée, mais je n’arrive pas à savoir pourquoi. Le bilan de mon après-midi est assez pitoyable, je me rassure en me disant que j’ai sans doute trouvé la solution pour effacer la tâche de beurre que j’avais mon fils avait faite sur le mur du salon – sans acheter de produit cracra ni enrichir les gros méchants industriels. Encore une victoire de canard écolo, finalement je crois que je peux être fière de moi ! Faudra que je fasse une story sur Insta. Tiens mais voilà, pour l’esthéticienne… je vais demander conseil sur Insta ! Ou sur un groupe Facebook ! Je suis d’ailleurs pratiquement sûre d’avoir vu passer un groupe FB « Les esthéticiennes bienveillantes et féministes bio de Bordeaux ». Je m’en veux un peu de ne pas y avoir pensé avant.

Mais ça ne s’arrête pas là.

Je suis toujours perdue dans mes pensées (je ne sais déjà plus si elles sont écolos à ce stade) quand le reportage à la radio m’interpelle. « Savez-vous que vos recherches sur Internet polluent ? ». Je ricane. Héhéhé, bien sûr, je le sais déjà depuis longtemps, moi, crétin… On a même fait un groupe Facebook sur le sujet de l’écologie numérique avec ma copine Sarah. Je m’auto-congratule intérieurement. Le groupe FB + le concombre + la future esthéticienne bio-que-je-vais-bientôt-trouver-c’est-juste-une-question-de-temps ; c’est clair, c’est pas moi qui dégrade la planète. Ça, et la fin de l’annuaire ! C’est la nature qui va nous remercier !

Pourtant, d’un coup, alors que je gare mon quatre-quatre sur la pelouse du terre-plein de l’école, le doute m’assaille. Sur l’annuaire évidemment – ne jamais remettre en question ses propres actions, principe de base enseigné par quasi tous mes managers – ; sur la fin de l’annuaire plus précisément. J’ai quand même un tout petit doute sur le gain écologique du truc, finalement. C’est vrai ça. Chercher sur le web, c’est pratique. Et puis on peut avoir tellement d’infos. Mais en fait, chaque recherche, ça pollue, je le sais quand même. C’est des serveurs qui chauffent et qu’il faut refroidir, c’est des données qu’on stocke, c’est de l’énergie dépensée, du CO2… Alors, si je multiplie le nombre de recherches par le nombre d’habitants par le nombre de clics par le nombre de volts dépensés, je me demande si finalement il ne valait pas mieux couper deux-trois arbres, en fait. Bon, je me dis que chez Pages Jaunes y a sans doute un mec dont le boulot c’est de calculer ce qui coûte le plus à la planète entre le papier et l’Internet ; mais en fait non ahaha sûrement pas, le mec il doit surtout calculer ce qui rapporte le plus à son patron entre le bottin et le site web, non mais je suis d’une naïveté des fois je vous jure, à croire que j’ai déjà oublié mon précédent métier.

Et ça finit comme ça.

Bon. Je ne vais pas non plus pleurer l’annuaire, je ne m’en servais plus depuis un bail, je ne dirais pas le contraire. Enfin si, je m’en suis servi il n’y a pas si longtemps même, pour écraser une énorme araignée dans le bureau. Ouais, je m’en souviens bien de celle-là, beurk trop dégueu, j’en ai encore des frissons en y repensant. C’est marrant parce que maintenant que je suis hyper attentive à la planète et que je suis une écologiste chevronnée, et bien ça me ferait presque de la peine de tuer une araignée. Après tout peut-être qu’elle a des petits, si ça se trouve c’était une Maman qui laisse une colonie de bébés araignées orphelines, et rien ne nous dit que les araignées n’ont pas de sentiments, d’émotions, peut-être même que ça pratique la parentalité positive et que ça fait des dépressions, les araignées, hein, qu’est ce qu’on en sait, nous ? Google doit savoir ça. Je cherch… Non mais quand même non, arrête, déconne pas. C’est vraiment trop ignoble de toute façon, et puis j’ai bien mangé des côtes d’agneaux hier et pour autant ça ne m’a pas mis la larme à l’œil, hein. Tiens d’ailleurs, je me demande si les végans écrasent les araignées ?!

Bref…

Ma tête est farcie. De fil écolo en aiguille bio, depuis ma conversion bobo-bio, je sature mon cerveau. Et encore, tout cela n’est qu’une infime partie de mes états d’âmes écologiques. Des millions d’autres questions se bousculent sans qu’aucune réponse ne leur soit apportée. Comment être sure d’avoir l’attitude la plus green quand on est une mère paresseuse et fatiguée ? Le minitel marche-t-il encore ? L’empreinte carbone d’un bidon d’Ariel est-il supérieur à la dépense énergétique de la recherche et confection de la lessive fait maison qui pue ? Vais-je devoir vendre un rein et utiliser plein de parabens pour réparer mes cheveux niqués par le shampoing solide ? Les marques bio appartiennent-elles toutes à des sectes obscurantistes ? Que fait Greta Thunberg quand elle se rend compte qu’elle a oublié son tote-bag après avoir payé ses courses ? Google a-t-il vraiment réponse à tout ?

Et si… Et si vivre dans l’ignorance était encore ce qu’il y avait de plus écologique ??

Il faudra plus d’un article pour aborder tous ces sujets, je vous l’avais bien dit.

Moralité…

1. Je vais me remettre à utiliser l’annuaire. Je ne sais pas si la planète y gagnera quelque chose, mais moi, au moins, je gagnerai du temps.
2. *Je déteste toujours autant le mot autrice.
3. Je n’ai toujours pas d’esthéticienne. Refuser de s’épiler, voilà un geste fort, dans la mouvance écolo-féministe. Ça compensera pour autrice.
4. En vrai, je n’ai pas de gros quatre-quatre diesel. Mais je ne désespère pas.
5. Et il va falloir que j’explique à Biquet, pour la grosse tache verte sur le mur du salon…

PS : Si vous voulez en savoir plus sur l’écologie numérique et digitale, viendez tous sur le groupe Facebook dédié à ce sujet ! Savez-vous que lire cet article pollue ? Que votre dernière story Insta Que d’imprimer ses mails, en fait, c’est souvent mieux ? Et tant d’autres choses étonnantes, « que des fois on se dit qu’il aurait mieux valu pas savoir », comme disait tonton Bernard. Alors, c’est à vous de voir… parce que se poser des questions seul, c’est bien, à plusieurs, c’est… pire sûrement – écologiquement parlant -. Mais au moins, c’est instructif ! Alors venez, discuter, échanger (et polluer) (pour la bonne cause ?!) mais surtout… ne le dites à personne !