Il fallait que j’héberge le texte…
Celui de ma nouvelle « Entre chien et loup », grâce à laquelle j’ai remporté le prix Ecrire Au féminin il y a quelques années ! 4 ans plus tard, je réalise que je ne l’avais jamais publié… Voilà qui est réparé. Le thème choisi était : l’heure bleue.
Entre Chien et Loup
Elle crie, encore. Ses hurlements n’en finissent plus. Ma tête va exploser. Le son raisonne jusque dans ma poitrine. Je dois m’éloigner.
Je jette œil à la fenêtre : le ciel s’est assombrit. À pas de loup, je passe devant la porte d’où s’échappent désormais des grognements ; j’attrape le plaid sur le canapé et je me glisse juste derrière. Je m’enroule dans la couverture et me recroqueville au bord de la fenêtre, en appui sur le radiateur. Ce n’est pas large, mais en serrant mes jambes contre moi, j’arrive à tenir.
C’est le moment de la journée que je préfère. Surtout l’hiver. Entre chien et loup.
J’ai éteint la lumière du salon. Blotti contre la vitre, tapi dans l’ombre ; j’oublie les cris, la peur. Mes muscles se détendent peu à peu. Les battements de mon cœur se font plus légers. Dans la pénombre moelleuse, j’observe ce que la nuit dévoile.
Mon regard se fixe immédiatement sur l’immeuble d’en face. Il fait presque noir à présent, les fenêtres s’allument une à une. Je les connais par cœur. D’abord, les Martin, dans l’appartement du haut : celui avec l’immense balcon. Elle, elle rentre toujours tôt, bien avant lui. Dans cet espace cossu, trop grand pour deux, elle tourne en rond. Leur petit dernier n’est pas revenu après l’été. Elle est triste, ça se voit. Je voudrais bien lui parler. Lui dire que moi aussi, je m’ennuie et je me sens seul, parfois.
En dessous, 3 autres logements. Celui de gauche est occupé par un jeune qui fait la bringue du mardi au samedi. Le reste du temps, il cuve. Sans intérêt. Dans celui du milieu vit une famille. Ils s’entassent à 5 dans ce deux-pièces. Ils sont pauvres. Ils sont bruyants. Ils sont heureux. Les voisins du dessous, un couple très comme il faut, s’en plaignent souvent. Lui est détestable, vissé à son smartphone. Il ne la regarde jamais. Elle ne s’en rend même pas compte, trop occupée à soigner les apparences. Mais je l’aime bien. Elle fait des manières, c’est ce qui la rend intéressante. Elle est même plutôt jolie, finalement. Presque autant que Lina. Ma Lina.
Lina, c’est la fille du studio de droite. Solaire. Discrète et solitaire, aussi. J’adore la regarder. Des fois, le soir, elle danse en riant devant son miroir. Elle parle avec quelqu’un qui ne répond jamais, puisqu’il n’existe pas. Puis tout d’un coup, elle s’écroule et pleure ; avant de poster son bonheur sur les réseaux. On ne se connait pas, mais je la comprends. Je sais tout d’elle.
Depuis quelques temps, sa fenêtre ne s’allume plus. Le spectacle est fini. L’appartement de Lina reste désespérément muet. Elle me manque. La Lina sans le son me manque. C’est dommage : je ne m’en rends compte que maintenant. Lina n’avait d’intérêt que de l’autre côté de ma fenêtre.
Maintenant qu’elle beugle à m’en déchirer les tympans, là, au fond de ma cave ; elle a perdu tout son charme. Encore une qu’il va falloir faire taire. Ce n’est pas le moment que je préfère, mais elle ne me laisse pas le choix. Alors, je retarde encore un peu – et je profite de mon heure bleue.